Aux origines de l’agilité : une révolution managériale
En 2001, dix-sept experts du développement logiciel se réunissent à Snowbird, dans l’Utah, pour répondre à un problème majeur : les méthodes traditionnelles de gestion de projet, comme le cycle en V ou la méthode Waterfall, s’avéraient inefficaces face à des environnements incertains et changeants. Le résultat de cette rencontre fut le Manifeste Agile, un texte court, mais révolutionnaire, articulé autour de quatre valeurs qui ont été déclinées en douze principes afin d'aider opérationnellement les équipes qui souhaitaient les suivre.
En s'appuyant sur leur expérience combinée du développement logiciel, les dix-sept signataires du manifeste ont proclamé qu'ils attachaient de l'importance « aux individus et leurs interactions plutôt qu'aux processus et aux outils », « à un logiciel fonctionnel plutôt qu’à une documentation exhaustive », « à la collaboration avec les clients plutôt qu'à la négociation contractuelle » et « à l’adaptation au changement plutôt qu'à l'exécution d’un plan ». Cela signifie que les éléments à gauche du mot « plutôt » dans chaque citation sont réputés avoir plus de valeur que ceux à droite, bien qu'il y ait aussi de la valeur dans ces derniers. Ces quatre citations sont appelées les quatre « valeurs » du manifeste agile.
Ces valeurs traduisent une rupture avec les approches rigides et une volonté de recentrer le travail sur ce qui génère réellement de la valeur : les équipes, les produits, et les besoins évolutifs des utilisateurs.
Un succès retentissant
L’agilité a rapidement gagné en popularité, portée par des méthodologies comme Scrum, Kanban, ou Extreme Programming (XP). Ces frameworks apportaient des outils concrets pour implémenter les principes agiles dans les organisations. Dans les années 2010, l’agilité a commencé à s’étendre bien au-delà du développement logiciel, touchant des domaines tels que le marketing, les ressources humaines et même la gestion stratégique.
L’agilité aujourd’hui : succès et critiques
Malgré ses nombreux succès, l’agilité n’a pas été épargnée par les critiques. Si elle a permis à des entreprises comme Spotify ou Amazon d'atteindre des niveaux impressionnants d’innovation et de réactivité, elle a également été victime de détournements et de dérives qui en dénaturent l’esprit.
Les succès de l’agilité
- Une meilleure gestion de l'incertitude : Les approches agiles permettent aux équipes de s’adapter rapidement aux changements, en livrant régulièrement des incréments de valeur.
- Une collaboration renforcée : Grâce à des pratiques comme les stand-ups quotidiens et les rétrospectives, l'agilité favorise une communication transparente et continue entre les membres des équipes.
- Un focus sur l’utilisateur : En impliquant le client tout au long du processus, l’agilité garantit que les produits répondent réellement à leurs besoins.
Les critiques envers l’agilité
- La "superficialité agile" : Dans de nombreuses organisations, l’agilité est réduite à un ensemble de cérémonies ou d'outils (sprints, burn-down charts) sans réelle compréhension des principes fondamentaux.
- Une rigidité paradoxale : Certains frameworks, comme SAFe (Scaled Agile Framework), sont perçus comme trop lourds et bureaucratiques, en contradiction avec l’esprit de flexibilité promu par l’agilité.
- La marchandisation : La multiplication des certifications agiles a créé une industrie lucrative, parfois déconnectée des besoins réels des équipes et des entreprises.
- Une mauvaise intégration culturelle : Dans des structures hiérarchiques traditionnelles, les principes agiles peinent souvent à s’imposer face à des résistances au changement.
Les défis de l’agilité à l’ère moderne
L’agilité se trouve confrontée à des enjeux nouveaux, liés à l’évolution rapide des environnements professionnels et technologiques.
- La complexité croissante des organisations : Dans les grandes entreprises, la mise en œuvre de l’agilité à grande échelle est souvent un défi. La coordination entre plusieurs équipes, la gestion des interdépendances, et la nécessité de satisfaire des parties prenantes multiples rendent l’application des principes agiles plus difficile.
- La montée de l’intelligence artificielle : L’émergence de technologies comme l’intelligence artificielle (IA) ou le machine learning (ML) redéfinit les cycles de développement. Comment concilier les approches agiles avec des disciplines où l’expérimentation et la recherche prennent parfois le pas sur la livraison itérative ?
- Les attentes sociétales : Dans un monde de plus en plus axé sur la durabilité et la responsabilité sociale, l’agilité doit évoluer pour inclure des préoccupations éthiques et environnementales.
Pour un ingénieur, Agile est mort
« Le développement "agile" avec lequel nous sommes coincés aujourd'hui est une blague - un désordre étouffant orchestré par des imposteurs qui ne reconnaîtraient pas un logiciel de qualité s'il les frappait au visage. Nous sommes noyés sous le poids de chefs de produit, de managers et de propriétaires qui n'ont jamais écrit une ligne de code et qui, pourtant, dictent d'une certaine manière la manière dont les logiciels doivent être construits. Leurs rituels insignifiants et leurs réunions interminables tuent la créativité et étouffent le progrès, nous enlisant dans la bureaucratie.
« Alors que nous perdons du temps dans ces processus futiles, le paysage technologique évolue plus vite que ces soi-disant « experts agiles » ne peuvent organiser leur prochaine réunion inutile. L'intelligence artificielle se profile, prête à bouleverser l'industrie. Elle balayera non seulement les intermédiaires inutiles, mais aussi les ingénieurs unidimensionnels qui mettent en œuvre des tickets Jira sans se poser de questions. Dans un monde dominé par l'IA, seuls survivront ceux qui allient une compréhension technique approfondie à une vision fine de l'entreprise et du produit. Il est temps de repenser la façon dont nous collaborons et construisons des logiciels.
« La véritable collaboration ne peut être imposée par des cérémonies creuses ; elle naît d'une passion authentique et d'une mission partagée. Nous avons besoin d'ingénieurs farouchement dévoués, de personnes qui saisissent à la fois les complexités du codage et la vision globale du produit. Nous avons besoin d'équipes pointues et agiles qui pensent de manière indépendante et agissent sans hésitation. Il est temps d'éliminer les couches de bureaucratie inutile et de faire confiance aux vrais experts, ceux qui construisent réellement les produits.
« Il ne s'agit pas de ménager les susceptibilités ou de maintenir un statu quo brisé. Il s'agit de déclencher une révolution pour créer quelque chose qui fonctionne vraiment, quelque chose dont nous pouvons tous être fiers. Nous devons avoir le courage de tout remettre en question, de tirer les leçons de nos échecs et de tracer une nouvelle voie. L'avenir appartient à ceux qui ont l'audace de s'adapter et d'innover, et non à ceux qui s'accrochent désespérément à des processus dépassés comme à un radeau de sauvetage
« Ce manifeste est un cri de guerre pour tous ceux qui en ont assez des dysfonctionnements actuels. Il s'adresse à ceux qui croient que les ingénieurs qualifiés sont les véritables moteurs de l'innovation et les créateurs de produits significatifs. Nous devons nous libérer des chaînes des méthodologies obsolètes et adopter une approche plus dynamique, dirigée par les ingénieurs, du développement de logiciels. L'avenir même de notre industrie dépend de notre volonté de nous adapter, d'innover et de collaborer véritablement, et pas seulement d'accomplir les rituels vides des pratiques dites "agiles" ».
« Agile est un cancer », pour Erik Meijer, qui estime qu'il doit être banni une fois pour toutes
Erik Meijer, un développeur célèbre de l’écosystème .NET, qui s’est notamment fait remarquer par la création de LINQ et ses travaux sur le langage C#, Visual Basic, Volta et le framework Reactive Extensions (Rx), a fait des déclarations acerbes contre Agile, lors d’une conférence en Finlande : « Agile est un cancer que nous devons éliminer de l’industrie », a déclaré celui-ci.
Meijer critique surtout le fait que l’application de l’agilité dans des projets fait « beaucoup plus parler sur le code, que d’écrire le code ». Erik Meijer s’en prend particulièrement à la méthode Scrum, qui entraine des « interruptions inutiles ». Selon celui-ci, les « Scrum Meeting » sont des interruptions ennuyeuses, au mieux des mécanismes de contrôle subtil utilisés par les gestionnaires pour conduire une équipe, en donnant l’illusion d’un leadership partagé. « Nous devons cesser Scrum et Agile. Nous sommes des développeurs. Nous devons écrire du code », a affirmé Meijer.
Meijer continue sa diatribe en s’attaquant aux TDD. « C’est tellement ridicule. Pensez-vous que vous pouvez modéliser les échecs réels qui se produisent pendant la phase de production ? », s’est interrogé Meijer, avant de répondre. « Non. » Il préconise un cycle où le logiciel est déployé, et les erreurs fixées lorsqu’ils sont découverts.
Il faut noter que le créateur de Ruby On Rails, David Heinemeier Hansson, s’était aussi attaqué aux TDD, en affirmant que les tests unitaires n’étaient pas bénéfiques.
Au-delà de ces remarques, Meijer s’insurge également par rapport au fait que le terme « Agile » a été détourné et est désormais dénué de tout sens. Il a fini sa présentation en citant Dave Thomas, l’un des signataires du manifeste agile : « Le mot ‘Agile’ a été détourné au point ou il est devenu vide de sens. Et ce qui passe pour une communauté agile est devenu une arène pour les consultants et les entreprises qui veulent vendre leurs produits et services »
Capital One supprime tous les profils Agile de ses effectifs et plus de 1 100 personnes ont été touchées
Après de nombreuses années d'investissement dans les méthodes Agile pour amorcer « convenablement » sa transformation numérique, Capital One pense désormais à réorganiser ses équipes et se sépare des professionnels en méthodes Agile. Une personne au courant de l'affaire a déclaré à Bloomberg que plus de 1 100 employés ont été touchés par cette décision. Ces travailleurs ont été invités à postuler pour d'autres postes au sein de la banque, des centaines de postes étant ouverts dans toute l'entreprise. Selon des documents déposé par Capital One, la société comptait plus de 55 000 employés au troisième trimestre clos le 20 septembre 2022.
À la place, les ingénieurs et les chefs de produit devront utiliser naturellement les routines Agile. « Le rôle Agile dans notre organisation technique était essentiel pour nos premières phases de transformation, mais à mesure que notre organisation mûrissait, la prochaine étape naturelle était d'intégrer les processus de livraison Agile directement dans nos pratiques d'ingénierie de base », a déclaré Capital One. Depuis des années, l'entreprise investit dans la technologie du cloud qui, selon elle, lui permettra d'améliorer ses produits et son ratio d'efficacité, une mesure clef de la rentabilité qui indique combien il en coûte pour produire un dollar de revenu.
« Les décisions qui affectent nos associés, en en particulier celles qui impliquent des suppressions de rôles, sont incroyablement difficiles. Cette annonce n'est pas une réflexion sur ces personnes ou sur le travail qu'elles ont accompli au nom de notre organisation technologique. Leurs contributions ont été essentielles à la maturation de notre modèle de fourniture de logiciels et à notre transformation technologique globale », a déclaré la société dans le communiqué. Les suppressions de postes interviennent également à un moment où les entreprises technologiques et les entreprises financières réduisent leurs effectifs et ralentissent les embauches.
Source : Agile is dead
Et vous ?
Les valeurs du Manifeste Agile sont-elles toujours pertinentes dans les organisations modernes ? Selon vous, Agile est-elle dépassée ? Est-elle devenue un problème pour les équipes d'ingénierie ?
À votre avis, Agile contribue-t-elle à l'accumulation de la dette technique ? Pourquoi ?
Comment équilibrer la liberté d’action des équipes avec les contraintes stratégiques ou budgétaires des entreprises ?
L’agilité est-elle compatible avec des environnements où la hiérarchie reste très marquée ?
Quels sont les plus grands défis que vous avez rencontrés dans l’application des pratiques agiles dans votre organisation ?
L’agilité est-elle toujours adaptée dans des secteurs hors IT, comme la finance, l’industrie ou le marketing ?
Quelle alternative proposez-vous à Agile ? Pourquoi ?
Voir aussi :
« Agile tue l'innovation en confinant les développeurs dans des boîtes noires d'abstraction qui limitent la créativité et la compréhension des systèmes sous-jacents », affirme l'un des développeurs de Signal